Licenciement

Marcelo Bielsa peut-il être licencié pour faute grave ?

« Le LOSC a décidé ce jour de suspendre momentanément Monsieur Marcelo Bielsa de sa fonction d'entraîneur dans le cadre d'une procédure engagée par le club. »


Mise à jour 06/03/2018 : Marcelo Bielsa, qui contetait son licenciement a été condamné par le tribunal de commerce de Lille de verser 300 000 euros à son ancien club en dommes et intérêts. En effet, la Cour a jugé que cette assignation était abusive. Il a été débouté de l'intégralité de ses demandes. Ainsi, même si cela n'influence pas le reste de notre développement, cette mise à jour donne des précisions sur la possibilité d'être licencié pour faute dans ce cas.


En langage juridique et, selon le strict respect des procédures du droit du travail, l'entraîneur argentin n'entraînera plus le LOSC dans l'attente d'un entretien préalable programmé au plus tôt après cinq jours ouvrés. Un entretien au cours duquel il lui sera notifié que Lille entame à son encontre une procédure de licenciement pour faute grave.

Peut-il être licencié pour cela ?

I) Le licenciement pour faute grave

A) Procédure

Avant de licencier, l'employeur doit tout d’abord convoquer le salarié un entretien préalable pendant lequel il pourra être assisté par un conseiller. La convocation à cet entretien doit en indiquer :

  • Le lieu
  • La date
  • L’heure

Durant cet entretien, le salarié pourra se justifier sur les faits qui lui sont reprochés.
L'employeur ne pourra notifier le licenciement pas moins de 2 jours ouvrables après l’entretien.

La particularité du licenciement pour faute tient aux délais dans lesquels l'employeur doit agir pour que la procédure soit régulière.

L'employeur a un délai de 2 mois pour engager la procédure de licenciement, à compter du jour où il prend connaissance du comportement fautif.

B) L’appréciation de la faute

La faute grave est celle qui consiste à violer les obligations professionnelles découlant de son contrat de travail, et cette violation est d’une telle importance qu’elle rend impossible maintien du salarié dans l’entreprise.

La gravité de la faute peut s’apprécier soit en fonction des conséquences qu’elle a eu, soit en au regard de la nature des fonctions du salarié.

Parce que la faute commise empêche le maintien du salarié dans l’entreprise, il ne peut en principe effectuer son préavis.

En effet, la faute grave implique une réaction immédiate de votre employeur. Celui-ci ne doit pas se contenter d’avoir une attitude passive.

Par conséquent, le salarié ne pourra prétendre ni à une indemnité de licenciement, ni à une indemnité de préavis.

En sport, la faute grave est souvent un prétexte pour rompre le contrat d’un entraîneur dont le bilan est insuffisant. Or, les résultats sportifs ne peuvent être constitutifs d’une faute grave. Un coach a une obligation de moyens et non de résultat : il lui appartient seulement de tout mettre en œuvre pour la bonne marche de son équipe.

II) L’affaire Bielsa

A) La défense du LOSC

Les dirigeants du LOSC auraient tout simplement décidé de licencier Marcelo Bielsa pour faute grave. La procédure engagée prévoit, selon le droit français, que le salarié concerné doit être convoqué à un entretien préalable au licenciement, au moins 5 jours après l'annonce de sa mise à pied. Après l'entretien, le licenciement est effectif dans les 48 heures.

Le LOSC a mis en place un argumentaire pour licencier l’entraîneur :

  • L'absence de résultats sachant que Bielsa a toujours endossé dans sa communication l'entière responsabilité des échecs lillois. Les 70 millions d'euros dépensés en transfert, les aménagements à Luchin, la mise à l'écart d’un adjoint... Tout a été fait selon le LOSC pour permettre à Bielsa de réussir mais il a échoué.
  • Les dirigeants lillois reprocheraient aussi à Bielsa un laisser-aller dans la conduite du groupe : Retards à l'entraînement, comportements inadaptés... Sans sanction et dans une auto-gestion qui ne fonctionnerait pas.
  • Des médias sud-américains ont aussi affirmé que Bielsa était parti depuis deux jours au Chili au chevet d'un de ses anciens adjoints atteint d'un cancer, ce qui aurait précipité sa suspension. Il pourrait ne pas avoir prévenu de son absence à l'entraînement. Informations non vérifiées pour l'instant.

L'objectif de cet argumentaire pour les dirigeants du LOSC d'essayer d'éviter de payer à Marcelo Bielsa les indemnités de rupture de contrat prévues à la signature.

B) Les difficultés pour le licencier

Après avoir envisagé un licenciement pur et simple pour faute grave, le Losc a compris qu'il risquait de se retrouver dans une situation de licenciement abusif avec toutes les conséquences financières que cela suppose. Les dirigeants lillois ont donc ralenti et modifié leur approche. Le licenciement pour faute grave ne s'applique pas à un entraîneur en manque de résultats. C'est un concept très précis qui implique un comportement du salarié nuisible au bon fonctionnement d'une entreprise.

Marcelo Bielsa s'est senti humilié. Entraîneur de dimension internationale passé à la tête de la sélection argentine et de l'OM notamment, il était à Lille depuis seulement cinq mois. Il était là pour un projet de longue durée. Le Losc avait fait énormément de publicité autour de son arrivée. Et, à la fin, on lui a fait ramasser ses affaires comme un salarié lambda qui aurait volé de l'argent dans la caisse du magasin. Sans même prendre la peine de discuter.

Que réclame Marcelo Bielsa ?

L'exécution pure et simple de son contrat qui court jusqu'en juin 2019. Le contrat exclut d'ailleurs, parmi les clauses, toute possibilité de licenciement pour faute grave.

Marcelo Bielsa devrait toucher un pactole s'il était remercié bien avant la fin de son contrat signé pourtant cet été.

En effet, l'entraîneur a conclu un contrat courant jusqu'en juin 2019 et l'ancien coach de l'OM pourrait ainsi toucher a minima une indemnité comprise entre 14 et 16 M€

Le Losc se doit donc de prouver que les fautes de ce dernier soient avérées.

Dans une situation assez proche, l'Olympique de Marseille avait opté pour une ligne très dure envers son entraîneur Michel, en licenciant ce dernier pour faute grave en avril 2016 et en publiant un communiqué officiel pour stigmatiser "son comportement".

Cette méthode pourrait en effet être vue comme vexatoire par le juge prudhommal et probablement se retourner contre le LOSC.

Dans ce cas de figure, le juge prud'homal estime en effet que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, les dédommagements se faisant proportionnellement à la rémunération de l'entraîneur, à son ancienneté et à la taille de l’entreprise

Il y a eu quelques affaires éloquentes sur ce sujet  :  la Cour d'Appel de Lyon qui a confirmé le 10 février 2015 le jugement du conseil des Prud'hommes de Lyon du 27 mars 2014, en reconnaissant l'existence d'une faute grave de Claude Puel dans son licenciement par l'Olympique lyonnais en juin 2011. La Cour de cassation vient de rejeter le pourvoi de l'actuel coach de Southampton qui a donc été débouté de toutes ses demandes. Il réclamait 6 977 574 euros d'indemnités pour licenciement abusif (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 22 juin 2016, 15-16.443)

Le salarié estimait notamment que le président de la société Olympique Lyonnais s'était plaint d'une prétendue insubordination à son égard, mais avait été le seul qui avait pris la décision de rompre son contrat de travail, ainsi que le seul qui avait l'autorité, de revenir sur ce projet de rupture. Le Président avait pris sa décision avant même la tenue de l’entretien préalable.

Ce grief n’est pas plus reçu par la Chambre sociale laquelle considère que les juges d'appel, "après avoir estimé que les faits reprochés au salarié étaient établis, ont pu décider qu'ils revêtaient le caractère d'une faute grave rendant impossible le maintien du salarié au service du club jusqu'au terme du contrat"

Au terme d’une procédure de près de cinq ans, l’Olympique lyonnais a réussi à faire valoir la faute grave contre Claude Puel [licencié en juin 2011]. L’entraîneur s’est vu reprocher l’absence de réponse à un e-mail de son président, Jean-Michel Aulas, lui réclamant un « plan de bataille » pour la fin de saison : la cour d’appel de Lyon a vu dans le silence de Puel un « déni de subordination ».

Excepté l'affaire de Claude Puel, la plupart des litiges dans lesquels des clubs de football ont été demandeurs ont été condamnés à verser des sommes importantes:

  • L’AS Saint-Etienne en 2010 pour le licenciement de son entraîneur Laurent Roussey (1,14 millions d'euros) et en 2014 pour celui de Boubacar Sanogo (909.000 euros),
  • L’OGC Nice en 2013 après le limogeage de son entraîneur Eric Roy (689.000 euros)

On imagine donc que le départ de Bielsa se fera à l'amiable, comme l'avait été le départ négocié de Laurent Blanc au PSG (22 millions d'euros touchés à son départ)

En effet, l'insuffisance de résultats n'est certainement pas une garantie de succès devant les tribunaux, puisque selon une jurisprudence constante, l'entraîneur n'a pas d'obligation de résultat, mais seulement de moyens. Dès lors, pour justifier la faute grave reste l'éventuelle excuse d'une mésentente avec les joueurs et le staff technique, l'insubordination voire ou une atteinte à l'image du club.

Les deux parties peuvent toujours conclure une transaction et négocier les conditions financières de la rupture sans passer par un licenciement. Cependant, Marcelo Bielsa n’a aucun intérêt. Un accord amiable avant toute procédure de rupture du club le prive de certains droits, comme les allocations-chômage. L’entraîneur opte pour un accord avec le club.

La reconnaissance publique de sa responsabilité dans le début de saison de son équipe remonte à plusieurs semaines. Il ne peut donc être licencié pour faute grave : une faute grave doit empêcher immédiatement la poursuite de la relation. Marcelo Bielsa n’ayant pas été écarté au moment où ces aveux ont été prononcés, il sera très difficile d’en faire le motif de son licenciement.