Harcèlement

La prise d'acte appliquée au harcèlement moral

L'employeur a une obligation de préservation de la santé et de sécurité à l'égard de ses salariés.Si vous subissez un harcèlement moral de la part d'un salarié, votre employeur est-il responsable? Pouvez-vous vous retourner contre lui et faire une prise d'acte de rupture de votre contrat?

Réponse dans l'arrêt du 11 mars 2015 de la Chambre sociale de la Cour de cassation, n°13-18603.

Pour mieux comprendre les enjeux de cet arrêt, revenons un instant sur l'obligation de sécurité qui pèse sur votre employeur ainsi que sur la prise d'acte de rupture du contrat de travail.

1. L'obligation de sécurité et de santé de l'employeur:

A. OBLIGATION DE SECURITE DE RESULTAT

securite prevention sante

Votre employeur est tenu, envers vous, d'une obligation de sécurité de résultat. Cette obligation de sécurité, apparue à l'origine dans des affaires d'amiante, s'est largement étendue et s'applique également à tout ce qui touche votre santé au travail. 

L'obligation de sécurité signifie que votre employeur doit en assurer l'effectivité sous peine de voir sa responsabilité engagée.

C'est pourquoi votre employeur, pour respecter son obligation de sécuité, doit faire preuve de vigilance envers:

  • Les contraintes et risques liés à votre poste de travail
  • Les effets de l'organisation du travail
  • Votre santé
  • Les relations de travail avec les autres salariés
  • Les risques présentés par l'environnement de travail

Cette vigilance passe alors par un devoir de prévention, prévu à l'article L4121-1 du code du travail.

"L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes."

Il doit prendre les mesures nécessaires pour assurer votre sécurité et protéger votre santé. Pour cela il doit vous informer et vous former. L'idée étant d'anticiper au mieux la survenance de risques.

B. EXTENSION AUX CAS DE HARCELEMENT MORAL

Finalement au regard de cette obligation de sécurité qui couvre aussi l'obligation de santé des salariés, il semble assez simple d'établir un lien entre obligation de sécurité et harcèlement moral.

De façon très pragmatique, votre employeur doit assurer et protéger votre santé. Vous êtes victime de harcèlement moral par un autre employé ce qui a pour conséquence d'altérer votre intégrité physique et mentale. Votre santé n'a pas été protégée. Il y a défaut dans le travail de votre employeur à respecter obligation.

Le lien entre son obligation et le harcèlement moral a été très clairement fait par les juges, notamment dans un arrêt de 2006 (puis de 2010) dans lequel ils ont considéré que l'employeur était tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, notamment en matière de harcèlement moral et que l'absence de faute de sa part ne pouvait l'exonérer de sa responsabilité.

On arrive ici à un point essentiel: la faute de votre employeur.

Votre employeur est tenu à une obligation de résultat....si bien qu'il manque à son obligation dès lors qu'un salarié est victime de tels agissements. Cet argumentaire est repris dans l'arrêt du 11 mars 2015.

Dans cette affaire, il s'agit d'une salariée, victime de harcèlement moral sur son lieu de travail. L'employeur avait alors réagi en licenciant le harceleur. Pour autant, la salarié a pris acte de la rupture de son contrat pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat. Les juges de la cour d'appel n'ont pas fait droit à ses demandes, estimant que l'employeur avait pris les mesures nécessaires.

Or, ils n'ont pas constaté si le maintien de la salariée dans l'entreprise avait été, dés lors, rendu impossible ou non. Il est important de retenir cette dernière information pour bien comprendre la décision des juges de la Cour de cassation.

2. Le régime de la prise d'acte de rupture du contrat de travail

prise d'acte constatée par les juges

La prise d'acte est un mode de rupture du contrat de travail à votre initiative lorsque vous considérez que votre employeur a manqué gravement à l'une de ses obligations légales ou contractuelles.

Le manquement est tel qu'il doit rendre impossible votre maintien dans l'entreprise. En effet , la prise d'acte interrompt immédiatement les relations de travail.

Il faut dès lors saisir la justice afin que les juges constatent que l'employeur a oui ou non manqué à ses obligations. Si tel est le cas, alors la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Revenons-en maintenant aux faits. La salariée estime que son employeur a manqué à son obligation de sécurité et a donc pris acte de la rupture du contrat de travail sur ce fondement. La prise d'acte entraine la rupture immédiate du contrat dans la mesure ou le maintien du salarié n'est plus possible.

Or souvenez-vous, l'employeur, ayant eu connaissance des agissements envers la salarié, a licencié son harceleur. Le harceleur n'étant plus présent dans l'entreprise, le maintien de la salariée à son poste était-il, pour autant, impossibe?

3. L'application de la prise d'acte au harcèlement moral et maintien du salarie dans l'entreprise

harcelement moral et prise d'acte du contrat

Avant de poursuivre, voici le résumé de ce qu'ont répondu les juges. L'argumentaire est le même que celui de 2006 et 2010.

"L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu'un salarié est victime sur le lieu de travail d'agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures pour faire cesser ces agissements"

Pour les juges de la Cour de cassation, l'obligation étant de résultat, peu importe que l'employeur ait pris les mesures nécessaires en licenciant le harceleur, les faits sont là, la salariée est victime de harcèlement, l'employeur a manqué à son obligation.

Or, ils reprochent aux juges de la cour d'appel de ne pas avoir regardé si le maintien dans l'entreprise de la salariée avait été rendu impossible. Et c'est ce qu'il faut retenir ici. Le harcèlement n'est nullement remis en cause. L'employeur est bel et bien responsable. Mais le maintien était-il, à ce point, impossible.

Concrètement, que ce serait-il passé si les juges de la cour d'appel avaient mené cette appréciation?

  1. Soit ils constataient que le maitien de la salarié était possible et annulait alors la prise d'acte même pour des faits de harcèlement moral
  2. Soit ils constataient que le maintien n'était pas possible et que la prise d'acte produisait alors les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Finalement il s'agit de trouver un certain équilibre et c'est là tout l'intérêt de cet arrêt. 

Quel équilibre?

  • D'une part, l'employeur, même en prenant les mesures nécessaires, manque à son obligation de sécurité quand l'un de ses salariés est victime de harcèlement. Cette reconnaisance permet alors à la victime de se voir indemniser.
  • D'autre part, la prise d'acte, quand elle est constatée, produit les mêmes effets que le licenciement sans cause réelle et sérieuse et oblige alors l'employeur à verser diverses indemnités à ce titre au salarié.

Autrement dit, il est essentiel de garantir que le salarié sera largement indemnisé sans pour autant "accabler" l'employeur qui aura pris les mesures nécessaire afin que la salariée ne craigne plus rien sur son lieu de travail.