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Avez-vous une pathologie liée au travail ?

Qu’est-ce que la psychodynamique du travail ? Quelles sont les caractéristiques de la psychodynamique du travail ? Pourquoi s’est développée la psychodynamique du travail ? Quelles sont les différentes souffrances au travail ? Comment lutter contre ?

César Pierre CASTAGNÉ est médecin psychiatre et psychothérapeute, spécialisé entre autre dans la souffrance au travail. Ce terme générique recouvre dans son appellation des situations très diverses, comme des situations de surmenage professionnel, de harcèlement moral ou sexuel, de troubles symptômatiques (dépression, angoisse) entrant en interaction avec la pratique du travail, sans forcément d’ailleurs qu’il existe un principe de causalité associé.

Qu’est-ce que la psychodynamique du travail ?

Il s’agit de l’étude de l’organisation du travail. Si un certain nombre de pathologies professionnelles sont en rapport avec les conditions physiques et les qualités matérielles nécessaires pour l’accomplissement des tâches (conditions physiques, chimiques, nature de l’outil de travail, etc…), d’autres sont en rapport avec des troubles de la communication induits, par exemple, par des modalités organisationnelles défectueuses. La psychodynamique du travail peut mettre à jour ces dysfonctionnements.

Quelles sont les caractéristiques de la psychodynamique du travail ?

La psychodynamique du travail s’intéresse tout aussi bien à la nature des relations qui se tissent entre les sujets du fait du travail, qu’à leur inscription dans les schémas décisionnels nécessaires à l’avancée de leur tâche professionnelle. Si mes interventions se réalisent en cabinet et font essentiellement appel à des représentations sensibles et intimes, le laboratoire du CNAM, dirigé par Christophe Dejours, peut réaliser des expertises in situ lors de situations de crise afin de poser un diagnostic et proposer des actions d’amélioration.

Pourquoi s’est développée la psychodynamique du travail ?

Les organisations du travail ont considérablement évolué ces dernières années. La désindustrialisation et le développement d’une économie de service, mais aussi l’essor des nouvelles technologies, promouvant un sujet libre et autonome par son  hyperconnection, n’y sont guère étrangères. Au management de proximité s’est substitué celui des nombres et du chiffre, chacun devant rendre compte à soi-même de ses performances avant d’en rendre compte aux autres.

Si ces pratiques faisant de chacun son propre évaluateur (on réalise désormais son auto-évaluation en entreprise) créaient les conditions d’une certaine forme de liberté, celle-ci reste relative par le fait qu’il existe une altération du lien travail (le sujet n’est plus assuré par son N+1) et qu’il existe naturellement une difficulté à limiter de manière horaire son champ d’intervention (perméabilité grandissante entre espace intime et professionnel).

La transformation de cette autonomie en sentiment d’isolement peut dès lors être ressentie comme une contrainte supplémentaire et partagée par un sujet travaillant aussi bien pour son compte que dans l’organigramme d’entreprises mondialisées.

Il est enfin à noter que cette modification du lien social, marquée par une moindre couverture du risque de manière générale, s’accompagne d’une mutation des espaces de travail privilégiant l’open-space et la fluidité, voir le développement du télétravail. Là encore, ces modalités peuvent générer, et cela au-delà du confort escompté, un sentiment d’horizontalité des pratiques sans commandement établi. C’est au travers de l’ensemble de ces modalités que le désancrage de sujet, facilitée par la réalisation de tâches professionnelles de plus en plus virtuelles, s’accélère au profit de la sensation grandissante d’être livré à soi-même.

Comment étudier vous la psychodynamique du travail ?

Il s’agit initialement de questionner le sujet sur ses conditions de travail et sa fiche de poste afin de repérer l’existence éventuelle de glissement de tâches, d’un surmenage (grandes amplitudes horaires de travail), de conflit de loyauté (impossibilité de dire non, absence de paiement pour ses heures supplémentaires ou de prise de ses RTT), voire d’angoisses de performance liées à la pratique de son activité.

Il s’agit également d’évaluer si le travail entre dans le respect des valeurs du sujet ou au contraire, semble entrer en opposition avec celles-ci, majorant une perte d’estime de soi et une souffrance parfois intense mais indicible (peur de perdre son emploi en raison de la contraction du marché du travail).

C’est à partir de ce diagnostic que l’on peut accompagner le sujet vers une prise de conscience des aménagements possibles. Ces aménagements doivent aussi bien se réaliser à son niveau de fonctionnement personnel que dans son rapport à un éventuel employeur ou à la satisfaction de ses clients (dictature du rendement et de la notion de qualité).

Quelles sont les limites d’une telle analyse ?

Si la psychodynamique du travail révèle l’impuissance du sujet à trouver une place satisfaisante ou à faire reconnaître ses compétences dans le monde professionnel, la prise en charge de cette souffrance ne peut se contenter d’une approche purement descriptive. Il est ainsi nécessaire d’individualiser les contraintes pesant sur l’épanouissement personnel, que ce soit sur le plan des ressources humaines ou de l’organisation du poste de travail, afin d’y apporter les aménagements nécessaires.

Néanmoins, ce type d’approche nécessite que la personne en souffrance se replace au centre de son dispositif et quitte une position victimaire l’empêchant de mener des actions d’amélioration nécessaires. Bien souvent en effet, la souffrance intime est telle qu’il est difficile d’élaborer un plan de traitement en dehors d’une conflictualité frontale.

La notion de temporalité est ici primordiale : ces prises en charge nécessitant parfois plusieurs mois pour aboutir en fonction de leur degré de sévérité. Dans ce cadre là, la mise en place d’un arrêt de travail ou une reprise de l’activité à mi-temps thérapeutique font également partie des stratégies de soins à déployer.

Quelles sont les différentes souffrances au travail ?

Nous en avons déjà vu un certain nombre : harcèlement ou humiliation, surmenage professionnel pouvant aller jusqu’au burn-out, angoisses de performance, mésestime de soi et sentiment d’inutilité confinant parfois jusqu’au bore-out (ennui au travail), crise de valeur, dépression masquée, addiction à une pharmacopée anxiolytique, absence de limite horaires.

Cette souffrance au travail peut parfois aller jusqu’au développement d’idées noires, voire d’idéation suicidaire qui, si elles sont exprimées, doivent être signalées par le sujet ou par l’environnement professionnel (employeur, collaborateur) afin de mettre en place les mesures préventives qui s’imposent.

Dans le cadre de votre métier, comment luttez-vous contre les souffrances au travail ?

Je travaille pour ma part sur deux volets de soins disctincts :

  • Une action d’évaluation des conditions de travail avant d’accompagner le sujet dans la mise en place d’actions d’améliorations appropriées aux situations qu’il rencontre (conseils juridiques éventuels, organisation d’une médiation, mise en lien avec le médecin du travail)… La gestion de la situation de crise reste la priorité, nécessitant souvent un arrêt de travail afin de protéger le sujet contre lui-même et d’un milieu professionnel vécu comme persécuteur. L’accompagnement sur le plan administratif se développe ensuite dans un second temps.

  • Une action de prise en charge de la souffrance intime. Il est fréquent de constater que la souffrance au travail entretient des liens avec une souffrance plus générale, qu’elle soit d’ordre existentielle ou d’ordre familiale. En ma qualité de spécialiste et de psychothérapeute, j’essaye de mettre en lien et en mot une souffrance souvent intense, voire disproportionnée, avec le récit de la vie intime du sujet. Je recherche par exemple tout particulièrement l’existence de dates anniversaires traumatiques ou l’existence d’un principerépétitif qui pourrait me renseigner sur une souffrance névrotique sous-jacente, elle-même en rapport avec les expériences subjectives du sujet.

Je considère que la prise en charge thérapeutique de la souffrance au travail doit se faire sur ces deux versants, l’un ne pouvant prédominer entièrement au risque de créer les conditions d’une éventuelle rechute dans le monde professionnel.

Quel est votre mot de la fin ?

La souffrance au travail est aujourd’hui une forme d’entrée classique dans la dépression, une forme tout autant acceptable socialement que l’était l’hystérie féminine il y a plus d’un siècle. Elle trouve son origine dans la mutation profonde des liens sociaux et familiaux mais aussi dans les nouvelles formes de travail, ce qui rend ses présentations protéiformes.

Pour être efficacement prise en charge, elle nécessite une approche globale des conditions de travail, mais aussi exploratoire des problématiques intimes que rencontre le sujet.
 A mon sens, sa détection pourrait être plus performante au sein du monde du travail et se baser sur l’existence de lanceurs d’alerte. Ainsi, un N+1 doit être en capacité d’envisager la souffrance de ceux qu’il manage, d’être sensibilisé au fait que des débordements horaires ou l’envoi de mails nocturnes sont les signes annonciateurs d’un trouble psychique, et non l’expression du zèle d’un collaborateur, mais également être capable d’en référer à sa propre hiérarchie lorsqu'il en existe une.

Néanmoins, ce principe de détection ne peut seulement incomber à une hiérarchie, mais également aux professionnels de santé intervenant sur ces questions dont la formation doit être suffisante pour parvenir à l’appréhender.