Rupture conventionnelle

La rupture conventionnelle collective : une nouvelle technique de licenciement économique ?

La loi travail de 2017 fait l’objet de critiques complexes portant sur de nombreux sujets : référendum d’entreprise à l’initiative des employeurs, plafonnement des indemnités prud’hommales de licenciement, réduction du délai de recours aux prud’hommes et encore, ceci n’est qu’un aperçu.

Il subsiste un point à ne pas négliger parmi ces nombreuses réformes législatives, qui porte sur les modes de rupture des contrats de travail.

Dans le but d’encadrer les politiques de départs volontaires au sein des entreprises, le pouvoir exécutif compte sur une modification législative inédite : la rupture conventionnelle collective. Une telle mesure pourtant avait été écartée lors de l’écriture de la précédente loi travail de 2016.

Cette notion nouvelle s’inscrit dans la philosophie prônée par le précédent gouvernement Valls et l’actuel gouvernement Philippe, affichant la volonté politique de sauter verrous et blocages posées par la loi en matière de rupture des contrats de travail.

I) Un nouveau mode de rupture du contrat de travail dans le paysage légal

L’objectif premier du texte est de donner un meilleur cadre juridique aux plans de départs volontaires et serait basé uniquement sur le volontariat des salariés. Une telle mesure n’est pas à négliger parmi les 160 pages des futures ordonnances réformant le code du travail.

Un petit décryptage de la mesure s'impose. Il faut savoir que la rupture du contrat de travail résulte toujours de l'initiative de l'employeur ou du salarié, sauf en cas de résiliation judiciaire.

A) Des modes de licenciement individuels

Les modes de rupture sont assez traditionnels :

  • Démission
  • Licenciement
  • Départ à la retraite
  • Mise à la retraite
  • Départ négocié
  • Force majeure
  • Rupture anticipée en raison d’une faute grave
  • Rupture anticipée par accord commun
  • Rupture anticipée en raison d’une embauche sous CDI.
  • Le juge peut parfois décider de la rupture du contrat, mais ce n’est pas le sujet.

Le dernier mode est la rupture conventionnelle individuelle et homologuée. Elle permet à l'employeur et au salarié en contrat à durée indéterminée de convenir ensemble des conditions de la rupture du contrat de travail.

Depuis 2008, une entreprise qui souhaitait se séparer d’un salarié pouvait lui proposer une telle rupture, équivalente à une démission mais avec le droit à l’assurance chômage. En présentant les ordonnances le 31 août, le gouvernement a instauré une rupture conventionnelle collective, valable pour toutes les tailles d’entreprises et validée par l’administration.

La rupture conventionnelle est possible, si on respecte des conditions légalement établies. Il constitue le seul mode de rupture des contrats de travail à l’amiable.

Cette procédure est particulièrement bien encadrée par la loi :

  • Commun accord des parties à travers une négociation
  • Rédaction d’une convention
  • Homologation par l’administration du travail.

A côté de ces modes de ruptures individuelles du contrat de travail, des ruptures collectives existent.

B) Des modes de licenciement collectif

Le licenciement est dit ici « économique ». Ce dernier consiste à rompre un contrat de travail à durée indéterminée « pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ».

Elle découle de la volonté de l’employeur et peut être individuel ou collectif, mais dans la pratique, il est collectif.

L’objectif de la réforme est de fluidifier le marché du travail, en facilitant à la fois les embauches et les fins de contrat.

Le licenciement économique et collectif peut être fait selon divers dispositifs légaux, qui les accompagnent la plupart du temps.

1) Le plan de départ volontaire (PDV)

Jusqu’à présent, pour se séparer de nombreux salariés, il fallait mettre en place un plan de départ volontaire. Ici, les salariés quittaient l’entreprise avec un contrat de sécurisation professionnelle et un suivi renforcé jusqu’à ce qu’ils retrouvent un emploi. Après l’ouverture d’un tel plan, les dirigeants ne pouvaient pas embaucher de nouvelles personnes durant un an. Ce ne sera désormais plus obligatoire avec la réforme actuelle.

2) Le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE)

Une autre manière de réduire les effectifs est d’activer un plan de sauvegarde de l’emploi, encore plus encadré que les plans de départ volontaire, accompagné d’un plan de reclassement  – un recours réservé aux entreprises en difficulté.

Cette procédure vise à éviter ou réduire les conséquences des licenciements collectifs au sein des entreprises tout en reclassant les salariés. Une telle gestion se fait dans les sociétés employant au moins 50 salariés lorsque les licenciements envisagés concernent au moins 10 personnes dans une même période de 30 jours, pour des motifs économiques.

La loi travail entend modifier le périmètre d’appréciation de la mauvaise santé d’une entreprise. En effet, elle s’apprécie jusqu’à présent au niveau du groupe. La nouvelle loi entend faire en sorte que cela s’apprécie au niveau national.

Ainsi, des multinationales ayant un chiffre d’affaires positifs pourront donc licencier dans leur filiale en France tout en réalisant des profits à l’étranger. Elles n’auront plus à proposer des emplois équivalents dans les filiales internationales.

La réforme du code du travail autorisera aussi à engager un PSE avant de céder une entreprise, afin d’alléger la masse salariale pour le repreneur potentiel.

3) La gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC)

Il constitue un mode de gestion préventif dans le domaine des ressources humaines. Le but étant de résoudre en amont des questions relatives à l’évolution des métiers, des emplois et des compétences au regard des contraintes de l’environnement de l’entreprise du groupe et de sa stratégie.

Les entreprises ont l’obligation de négocier un GPEC, tous les 3 ans pour éviter des restructurations trop sévères.

Tout simplement, cet outil permet d’établir un cahier des charges pour adapter l’entreprise à ses besoins et à son évolution dans plusieurs domaines. Cette procédure peut accompagner un licenciement économique et collectif des salariés.

Mais pourquoi une telle synthèse faite des nombreux modes de ruptures des contrats de travail me demandez-vous ?

Il faut savoir que, lorsqu’un PSE ou une GPEC est mis en œuvre, les salariés n’ont pas le droit à la rupture conventionnelle. Le contrat de travail ne peut être rompu via un tel mode, ouvrant à un véritable questionnement sur le rôle de la rupture conventionnelle collective.

II) La rupture conventionnelle collective : un nouvel instrument de gestion du corps salarial

Si le licenciement peut pour l’instant être collectif, ce n’est pas le cas de la rupture conventionnelle qui ne peut qu’être individuelle.

Le but afficher par le gouvernement est que, pour toutes les tailles d'entreprise, chacune pourra établir un cadre commun de départ strictement volontaire, et qui devra aussi être homologué par l'administration.

Dans un souci de sécurité juridique, le gouvernement donnera aux entreprises un cadre légal stable aux plans de départ volontaire et favoriser la négociation par les acteurs au sein de l’entreprise. La rupture conventionnelle a tout son intérêt ici.

A) Un encadrement de la procédure prédéfini

Le processus énoncé par la loi est fait de la manière suivante. En effet, un employeur voulant recourir à ce dispositif doit remplir un dossier qui détaille :

  • Le nombre maximal de départs, de suppressions d'emplois et la durée de mise en œuvre du plan.
  • Les conditions auxquelles doit satisfaire le salarié pour être visé par le plan.
  • Les critères de départage entre les potentiels candidats aux départs.
  • Les modalités de calcul des indemnités de rupture versées au salarié qui ne peuvent être inférieures aux indemnités légales dues en cas de licenciement économique (comme dans le cas d'une rupture conventionnelle individuelle).
  • Les modalités de candidature au départ des salariés.
  • Les mesures destinées à favoriser le reclassement des salariés.
  • Les modalités de suivi de la mise en œuvre du plan.

Suite à cela, comme lors d’une rupture conventionnelle individuelle, l'employeur doit transmettre la demande à l'administration du travail qui peut valider ou non la demande. L'ordonnance précise que l'administration possède un délai de 15 jours pour donner sa réponse.

Le gouvernement fit attention à certaines dérives qu’un tel dispositif est susceptible de créer : il ne sera pas possible d'utiliser la rupture conventionnelle collective pour se séparer de salariés seniors. Licencier selon l’âge étant un licenciement discriminant.

B) La rupture conventionnelle collective : un plan social déguisé ?

1) Les avantages perdus par les salariés

Le licenciement pour motif économique est caractérisé par le contrôle réduit exercé par les institutions du droit du travail. Les institutions représentatives du personnel exercent quant à elles un contrôle de la procédure, de la notification du projet à l'effectivité des licenciements.

Le souci de cette réforme est qu’elle prive les salariés de nombre d’avantages qu’offrait un plan de départ volontaire. Ils perdent le fait de bénéficier d’un contrat de sécurisation professionnelle, qui aide au suivi intensif des salariés pour le retour à l’emploi.

Cette rupture conventionnelle autoriserait aussi l’employeur à embaucher à nouveau dans la foulée de la rupture du contrat de travail. Le plan de départ volontaire l’en empêchait pendant une année entière.

2) Un moyen d’éviter d’autres dispositifs légaux ?

Une autre crainte importante : un tel dispositif permettrait de contourner un PSE ou un GPEC. On ne peut rompre par rupture conventionnelle des contrats de travail avec de tels dispositifs. En effet, ces derniers comportent des obligations de taille pour l’employeur tel que des propositions de reclassement ou des actions de formation.

Les effets peuvent s’avérer négatifs :

  • Les frais et la mise en place des mesures d’accompagnement social (bilan de compétences, soutien psychologique, aides à la création d’entreprise, aides au reclassement) seront gérer par la collectivité. Le salarié volontaire signera soit un contrat de sécurisation professionnelle, soit il ira s'affilier au régime général de Pôle Emploi.
  • Les salariés seniors risquent d’être visés en priorité, même si le législateur entend interdire une telle mesure à leur égard.
  • Les salariés partants qui prennent une telle décision sur le court terme, souvent pour des raisons financières, pourraient subir des conséquences lourdes pour le déroulé de leur vie professionnelle.
  • Les salariés restant risquent d’être freinés dans leur volonté de rebondir à la suite d’une telle rupture. L'employeur pourra user de cela à leur égard dans l'avenir.
  • Le risque d’évincer les partenaires sociaux et l’administration du travail dans la mise en œuvre et le suivi des plans de rupture conventionnelle collective. Les partenaires sociaux sont toujours présents lors des débats relatifs aux licenciements collectifs (GPEC et PSE). Ici, ils pourraient ne pas en faire partie.

La mise en place de la rupture conventionnelle collective devrait simplifier et sécuriser le cadre légal actuel. Il devrait aussi aider à mieux responsabiliser les élus au cours des négociations collectives lorsqu'elles portent sur sur la gestion des effectifs.

Le gouvernement entend créer un nouveau mode en matière de gestion prévisionnelle des emplois au sein des entreprises.

Le gouvernement a donc la charge d’encadrer cette nouvelle forme de gestion des départs. La réforme aidera à la fluidité et la sécurité attendues.

Les entreprises utilisatrices en revanche devront assurer le coût et surtout, aider à l’employabilité des salariés quittant l’entreprise. Il faudrait qu’une telle mesure puisse être suivi ou valider selon un processus préétabli, comme en matière de PSE. Wait and see.