Burn out

La reconstruction après le burn out (partie I)

Sabine Bataille est sociologue du travail, auteur de la première enquête en France sur « la reconstruction post burnout des cadres » (1er prix du jury Anact/ Dauphine en 2012), spécialisée en Qualité de Vie au Travail. Elle a 15 ans d’expérience dans le conseil RH et la gestion de carrière en accompagnant les salariés dans leurs évolutions, transitions et mobilités professionnelles. Sabine Bataille reçoit les salariés en consultation, conseille les entreprises sur leurs dispositifs post burnout et collabore activement avec les professionnels des Services de Santé au Travail. Elle intervient dans les colloques de santé au travail et anime des conférences et groupe de travail pluridisciplinaire. Elle travaille avec un réseau pluridisciplinaire (sociologues, psychiatres, avocats, médecins, policiers, personnels soignants…) prêt à intervenir en entreprise pour prendre en charge les risques psychosociaux liés au stress, à la violence et harcèlement au travail.
Fondatrice du Réseau RPBO rassemblant des experts pluridisciplinaires labélisés sur la Matrice RPBO©, elle transfert aujourd’hui ses compétences aux professionnels des Services de Santé au Travail (Médecins, psychiatres, psychologues du travail…)  et certifie les professionnels de l’accompagnement (DRH, responsable formation, consultants bilan de compétences, thérapeutes, psychologues…) pour garantir un niveau de qualité et d’éthique haut de gamme à ces professionnels souhaitant renforcer leur expertise méthodologique autour de l’accompagnement des crises identitaires liées au travail.

I. Le burn out, un tabou ? Non, surmédiatisé !

A. Un déni initial

A l’époque de mon enquête (2005-2012), effectivement, les salariés victimes (qu’ils soient managers ou dirigeants…) vivaient le burnout comme un « chagrin d’honneur » et préféraient s’étouffer eux-mêmes dans le déni de leurs souffrances que de dévoiler leurs difficultés à l’employeur. Sociologiquement, cela n’a fait que renforcer le déni des RH et des organisations pour aboutir au règne du tabou social. On a vu alors apparaitre à l’époque les premiers arrêts longue maladie dont on n’osait parler de peur d’être « contaminé » par l’insuffisance professionnelle. Cette appréhension collective de la « contagion sociale », couplée à cette crainte individuelle d’être mal évalué, mal noté, mal reconnu, jugé d’incompétent ou pire de paraître défaillant, voire « fragile et sensible » aux yeux de l’employeur n’a fait que renforcer le piège sociétal dans lequel se trouve les salariés et les entreprises aujourd’hui. Ce cercle infernal du déni a signé l’arrêt de mort des carrières linéaires dès les années 2000.

Les projets matriciels et les NTIC (aujourd’hui installés durablement) ont ensuite précipité le phénomène. Le burnout s’est enraciné silencieusement et fait désormais partie du paysage, mais reste vécu comme une honte ou un sale coup de canif à un contrat social qui devait garantir la reconnaissance et l’évolution professionnelle. L’idée de ne plus être performant, dans une société qui l’exige à tous les niveaux (familial, personnel, professionnel, financier, sportif  et même sexuel…), est tout simplement impensable (et impensé) pour un salarié qui se donne à fond et veut juste bien faire son travail.
N’arrivant plus à négocier, ni à tolérer en leur être une baisse de qualité ou de performance, les salariés victimes tentent frénétiquement de combler cet écart jusqu’à la syncope (1ère alerte), l’épuisement (2ème alerte), la maladie (3ème alerte) ou… le suicide (la mort). Grâce aux entretiens et aux résultats de l’enquête, ils ont réussi à mettre des mots sur leurs maux du travail. Mais on parlait alors à l’époque plus facilement de stress et de harcèlement (grâce aux travaux de Marie-France Hirigoyen, puis de Vincent de Gaulejac et Nicole Aubert) que de burnout. Les premiers accords sur le stress au travail ont été signés en France (ANI du 2 juillet 2008), suivis par l’ANI sur le harcèlement (moral ou sexuel) et les violences au travail (26 mars 2010). Ces trois axes ont ensuite été suivis de très près par les DRH, car ces accords s’imposent à toutes les entreprises, quelles que soient leur taille et leur branche d’activité.

B. Un changement vers 2010

Depuis 2010, tout s’est bousculé sur un terrain déjà très fragilisé par la crise et des NTIC de plus en plus intrusives dans la vie quotidienne mettant en péril l’équilibre vie pro/vie perso. Les salariés, toujours en quête de performance, n’arrivent plus à (se) « débrancher » du travail. C’est dans ce contexte sociétal que l’obligation de résultat en matière de Santé et de Sécurité au Travail est venue rajouter une pression supplémentaire aux entreprises, qui doivent garantir à leurs salariés, santé, sécurité physique et … mentale (L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail). En outre, la responsabilité et le rôle de l'employeur ne s’arrêtent pas à la mise en oeuvre des dispositions que lui impose la loi : il a le devoir de prendre toutes les mesures adaptées (qu'elles figurent ou non dans le code du travail), au regard des risques identifiés en lien avec les activités, les missions ou les  opérations confiées à l'entreprise.  La Cour de cassation a rappelé que l’obligation de protection ne vise pas seulement la santé physique, mais également la santé psychologique du salarié. Elle va plus loin, en précisant que l’absence de faute de l’employeur ne peut l’exonérer de sa responsabilité, dès lors que des faits de harcèlement moral ont eu lieu dans son entreprise (Soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914, Balaguer c./ Bourlier et alii).

Aujourd’hui, la surmédiatisation autour du burnout et les obligations sociales facilitent certes, la prévention primaire et secondaire, mais visent d’avantage l’efficacité d’évitement du risque pénal et des obligations assignées aux employeurs que le bon sens et la bienveillance envers les salariés en souffrance. La priorité d’adapter le travail à l’homme, reste un principe tiré de l’ergonomie et renverse l’idée selon laquelle il faut demander aux salariés de s’ajuster aux nouvelles contraintes du travail : c’est bien au travail de fournir un cadre compatible avec les capacités et caractéristiques individuelles, mais l’employeur doit prioritairement prendre des mesures de protection collective (Article L 4121-2).

II. Une « maladie des bons élèves »

Le burnout est un épuisement chronique dû à un surinvestissement au-delà du raisonnable par un salarié hyper-professionnel, engagé et loyal envers son travail plus que son employeur d’ailleurs, puisqu’il est capable d’outrepasser les règles de bon sens et de désobéir aux compteurs d’heures supplémentaires pour mener à bien sa tâche professionnelle. Bien sûr, l’entreprise y trouve son compte, mais ce surinvestissement du salarié l’entraine irrémédiablement vers un « trouble de l’adaptation » (critère psychiatrique officiel du burnout) entrainant un déséquilibre de l’ensemble de son environnement biologique, puis psychologique (avec par la suite des conséquences d’ordre personnel, social et familial). Les conjoints de victimes de burnout le savent bien.
On ne le dira jamais assez à ces profils-types de victimes : le burnout n’arrive pas du jour au lendemain, car c’est un trouble de l’adaptation. Il s’enracine dans le temps, et se cristallise autour d’un processus social (d’abord professionnel, puis personnel) qui s’installe dans la durée sur des repères faisandés, menant irrémédiablement à un épuisement physique, cognitif, psychologique et vital en quelques mois ou quelques années. Trop de pression, trop d’heures supplémentaires, trop de déplacements, trop de dossiers, trop de charge mentale, trop de responsabilités, bref… comme chantait Francis Lemarque « trop de tout ». Quand la coupe est pleine : elle déborde, c’est juste mécanique ! De 99 on passe à 100. Ce n'est pas plus compliqué que cela. La logique gestionnaire devrait le savoir... Ce n’est pas une question de compétences puisque cela touche les meilleurs.
Par contre, le piège pour ces bons éléments est de surestimer leurs ambitions, leurs capacités, leurs aptitudes à résoudre seuls les problèmes d’insuffisance de leur environnement de travail. A contrario, ils sous-estiment gravement les dégâts et les conséquences pour leur santé, leur carrière et leur entourage qui assiste impuissant à leur descente aux enfers. En outre, ils n’anticipent pas les difficultés qu’ils auront à reprendre le chemin de bureau s’ils s’arrêtent trop tard ou trop longtemps. Avec les psychiatres et les médecins du travail, nous sommes effarés de rencontrer de si bons éléments restant bloqués presque deux ans après leur burnout, en train de dépérir socialement en étant en arrêt (ou demandeur d’emploi), la boule au ventre, leurs émotions à fleur de peau, à l’idée de devoir refaire un cv ou pire de devoir retrouver un job ! Inutile de vous dire que leurs façons d’être, de penser, de s’estimer se détériorent radicalement en peu de temps et peuvent favoriser le terrain dépressif.
Paradoxe français : la crainte de perdre son boulot, n’incite pas les salariés à changer d’emploi, restant ainsi coincés dans une soumission consentie entretenant leur mal-être au travail. Il n’y a plus suffisamment d’appel d’air, ni de mobilités professionnelles désirées : le vent n’est plus assez porteur pour ces salariés qui auraient besoin d’espoirs plus que de contraintes ou de boulets accrochés à leurs pieds. Bien que les mobilités « désirées » (par opposition aux mobilités « subies »), soient majoritaires dans le discours des cadres en représentant 2/3 des demandes, en réalité et au final, dans 74% des cas, ces mêmes salariés ne bougent pas (Source Apec – Enquête mobilité - 2014).

Rappelons que la santé physique et psychique restent une conséquence de leur investissement au travail. Si déséquilibre il y a, une mauvaise santé peut s’installer durablement. Si équilibre restauré il y a, alors une qualité de vie et d’épanouissement par le travail peut commencer à exister ! Les personnes que j’ai accompagnées et qui ont réussi à reconstruire leur identité professionnelle peuvent l’attester ! On peut faire moins, mais mieux… et le bien-être existe aussi et surtout grâce au travail qui est, rappelons-le, un facteur protecteur de l’identité : ne l’oublions pas !

III. Trois cas de figures pour se remettre d’un burn out

On ne peut pas se reconstruire seul ; il y a besoin à minima d’un médecin et d’un accompagnement de type psychologique sur plusieurs mois afin d’éviter les risques de rechute qui sont malheureusement très nombreux si rien n’est réaménagé.

A. Cas 1 : Le salarié est mal en point, mais est encore à son poste de travail, (ou dans l’entreprise).

Il doit alors se rendre d’urgence chez le médecin du travail. Il est souhaitable qu’une personne de l’entreprise l’accompagne, puis le raccompagne chez lui à moins qu’il ne soit pris directement en charge par un professionnel de santé à l’issue de ce rendez-vous (Samu, SOS médecin, pompiers…). Cela pour éviter les risques de désarroi, de décompensation ou pire, de crise suicidaire sur le chemin du retour. Le médecin du travail engage sa responsabilité dans la délivrance du certificat d’aptitude ou d’inaptitude et informe le salarié de sa décision avant d’en faire part aux RH si le salarié donne son accord. Ensuite, seul un médecin à l’extérieur de l’entreprise peut prescrire un arrêt de travail. Le médecin du travail de l‘entreprise, lui, assure un rôle de conseil auprès des RH et un rôle d’alerte. Le salarié doit donc se rendre immédiatement chez son médecin traitant (ou un psychiatre) ou aller à l’hôpital.

B. Cas 2 : Le salarié est en arrêt (à l’hôpital ou à domicile).

Il doit respecter les prescriptions médicales qui lui sont faites et tenir compte des risques pour sa santé et son entourage. Le burnout est une alarme aux conséquences potentiellement mortelles avec une comorbidité et des facteurs sociaux aggravants surtout dans les 1ers jours de l’arrêt. La durée d’un arrêt est variable selon l’état du salarié et peut s’installer pernicieusement dans le temps et être reconduit jusqu’à plus d’un an dans les cas les plus lourds. Durant ce temps, le salarié doit se tourner d’abord vers les professionnels du médical ou du paramédical pour récupérer un niveau de santé physique et psychologique normal. Ensuite, il peut se tourner vers différents types d’accompagnement pour reprendre confiance en lui et se donner les moyens de ré-occuper une activité sociale et/ou professionnelle. On ne le dira jamais assez : le temps de l’arrêt peut être extrêmement déstabilisant pour le salarié car il vit très mal la situation et culpabilise à l’idée de ne plus pouvoir faire son travail : il y a une véritable rupture anxiogène à l’idée de ne plus être à la hauteur pour ces salariés victimes-types. De plus, il a inconsciemment peur d’être jugé par ses collègues qui auront du récupérer sa charge de travail ou son manager qui évaluera la conséquence sur la volumétrie de ses objectifs prévus. Les causes et les conséquences se mixent entre elles. La situation peut l’enfermer dans un cercle vicieux psychologique et lui faire perdre toute crédibilité et estime de lui. Si c’est le cas, le salarié doit d’urgence se faire accompagner par un psychiatre, un psychologue du travail ou un thérapeute spécialisé sur plusieurs séances. Attention, seuls le médecin et le psychiatre pourront lui prescrire des médicaments contre l’anxiété ou la dépression. Toutes les autres professions ne peuvent ni prescrire des médicaments, ni arrêt de travail.

C. Cas 3 : le salarié revient dans l’entreprise après un arrêt.

Il a la possibilité de se tourner en premier vers le médecin du travail qu’il peut rencontrer en visite de pré-reprise la semaine précédant son retour. Il peut aussi demander un entretien avec les RH et/ou son manager pour évoquer sa reprise.

D. 3 conditions pour s’en sortir

Le salarié se remet à 3 conditions :

  • Qu’il comprenne les causes de son burnout (le contexte toxique),
  • Qu’il sache exprimer ses envies (son désir ou projet professionnel)
  • Qu’il connaisse ses limites (ses ressources, ses moyens).

On pourrait rajouter un socle, une quatrième condition de sécurité (pour éviter la rechute) qui serait sa capacité à se tourner vers des personnes (tuteur ou relais) quand il commence à ressentir l’inconfort, l’effort ou le stress. Cette capacité s’inscrira alors comme une véritable compétence émotionnelle et relationnelle, elle-même porteuse de ses talents autour d’une nouvelle aptitude professionnelle. Ces compétences et aptitudes lui serviront toujours par la suite. Le salarié acquiert grâce à son burnout les conditions de sa future Qualité de Vie au Travail, avec cette formule que j’ai appelé « l’équation écologique ». Cette dernière se résout avec une analyse de son propre comportement au travail et dans la vie en général, avec des points de vigilance, des failles certes (qui n’en a pas ?), mais surtout avec des atouts, des talents (chacun en a !) qu’il convient alors de protéger dans un premier temps, puis de développer dans un second temps et renforcer dans un troisième temps.
C’est alors que le salarié pourra, soit reprendre son poste mais avec un nouveau regard sur son travail et sa façon de s’y investir ;  soit réfléchir à un autre projet de vie professionnelle dans son entreprise ou ailleurs. Le bilan de compétences et les congés individuels de formation sont des dispositifs RH qui permettent de prendre du recul avant un nouveau départ tout en assurant ses arrières.

En règle générale, je conseille à mes clients le changement impératif de 2 ou 3 critères importants dans leur vie professionnelle (poste, horaires de travail, mobilité…). Si rien ne change au retour du salarié : la rechute est assurée dans les mois qui suivent !

Références bibliographiques, du même auteur :

  • « La reconstruction professionnelle après un burnout », INRS Revue RST n°137. Mars 2014
  • « L’après burnout », Santé Mentale n° 190. Septembre 2014
  • « Se reconstruire après un burnout : les chemins de la résilience professionnelle ». Editions Dunod/InterEdition 2015
  • « Bien décider : les 3 déclics pour oser faire un choix ». Editions Dunod / InterEditions. 2015
  • « Approche interdisciplinaires des risques psychosciaux au travail ». Colloque Editions Octarès 2015