Harcèlement

Face à un harceleur au travail? Il ne faut pas rester seul

Le harcèlement moral au travail impacte aussi sur la vie personnelle et peut avoir de lourdes conséquences. De nombreux acteurs peuvent vous aider, vous conseiller notamment les psychologues spécialisés.

Anne QUELENNEC, est psychologue spécialisée en psychologie sociale et du travail. Elle a créé son cabinet après avoir travaillé plus de 6 ans dans les services RH de grands groupes français. Elle est également professeur associée, rattachée au département de psychologie sociale à l'Université de Brest (UBO).

Elle nous livre son expertise sur le harcèlement moral au travail.

1. Quelle définition donnée au harcèlement moral?

C'est un terme que je préfère éviter, car il est actuellement un peu galvaudé, et rapidement l'on parle de harcèlement là où il n'est pas forcément.

Si bien que ma définition s'approche beaucoup de la définition juridique : des agissements répétés,  portant atteinte aux droits, à la dignité, à la sa santé physique ou mentale, à l'avenir professionnel d'un salarié.

Concernant la nature de ses actes, je me rapporte régulièrement à la liste conçue par Marie-France Hirigoyen qui est une référence en matière de harcèlement moral, qui répertorie quatre types d'agissements :

  • Ceux qui portent atteinte à ses conditions de travail (décisions systématiquement critiquées, consignes impossibles à exécuter...),
  • Ceux qui isolent la victime (couper la parole, refuser de lui parler, ne pas la convier aux réunions où sont ses collègues...),
  • Ceux qui l'atteignent dans sa dignité (rumeurs, moqueries, humiliations...) et
  • Les violences verbales, physiques ou sexuelles (hurlement, bousculades, menaces...).

Parmi les exemples que je rencontre régulièrement, je citerai les consignes contradictoires, quand un manager demande une chose, puis change d'avis, modifie les objectifs en cours de route ou demande quelque chose qui est impossible à réaliser, ou encore l'isolement de la victime en la décrédibilisant auprès de ses collègues.

2. Quels sont les signes d'un salarié souffrant de harcèlement moral?

A. A QUEL MOMENT PARLER DE HARCELEMENT MORAL

Ce qui est parfois difficile pour un salarié, c'est de distinguer ce qui relève du factuel et ce qui est une interprétation.

Lorsqu'un salarié est capable de citer plusieurs exemples concrets et précis d'actes, de remarques qui génèrent chez lui de la souffrance, un mal-être légitime, il peut s'estimer victime de harcèlement moral. Néanmoins, cela ne suffira pas toujours à lui permettre d'obtenir gain de cause...

B.LE SALARIE A T-IL TOUJOURS CONSCIENCE D'ETRE VICTIME

Pas toujours. Parfois, la personne est tellement affectée, brisée, humiliée qu'elle pense que ce qu'elle subit est de sa faute et vient me voir plutôt pour savoir comment mieux se comporter, être acceptée et tenir le coup.

Parfois elle le sait au fond d'elle mais a du mal à l'admettre, ou a besoin qu'un tiers prononce le mot à sa place. Il m'arrive aussi de recevoir des managers qui me regardent avec de grands yeux quand je leur explique q'un manager aussi peut être victime de harcèlement moral de la part de son équipe.

Et l'inverse est vrai, des patients viennent convaincus d'être victimes de harcèlement moral alors que cela relève plutôt de prêts d'intention, ou d'un acte isolé qui s'apparenterait à une brimade, une critique mal digérée ou bien quand un souhait de promotion, d'augmentation, de formation leur a été refusé...

3. Quel est le rôle du psychologue en cas de harcèlement moral

A. A QUEL MOMENT FAUT-IL SE FAIRE AIDER

Dès le début. Plus on agit tôt, plus la personne a des ressources pour réagir, s'opposer, rassembler des preuves, se faire aider et idéalement éviter une procédure judiciaire.

Plus la personne attend, plus elle s'affaiblit : des manifestations physiques et psychiques peuvent alors apparaître (fatigue, hypertension, troubles de la mémoire, troubles de la concentration, dépression, anxiété). Elle aura alors beaucoup de mal à réagir de façon pertinente face au harceleur.

Il n'est cependant jamais trop tard pour consulter, car il y a toujours un travail de reconstruction à réaliser, soit pour pouvoir retourner dans l'entreprise, soit pour trouver l'énergie d'en chercher une nouvelle.

Mon rôle est multiple :

  • Libérer la parole,
  • Aider la personne à prendre du recul,
  • Comprendre ce qui s'est passé, ce qui lui arrive, l'aider à retrouver sa dignité, à reprendre confiance en elle et à faire des choix...

B. QUELS SONT LES PREMIERS CONSEILS A DONNER A UN SALARIE VICTIME

De ne pas attendre que ça s'arrange tout seul, ni de rester isolé. Il existe dans l'entreprise et en dehors de nombreux acteurs qui peuvent l'aider : encadrement, RH, CHSCT, médecins du travail, psychologues...

Et surtout, pour se protéger, essayer de récupérer toutes les éléments concrets, notamment les mails, notes, évaluations, plannings,  etc. et de noter les faits, les paroles dans un carnet (avec les dates), ce qui pourra lui permettre de démontrer qu'il n'est pas dans l'interprétation.

4. Y a t-il de plus en plus de salariés souffrant de harcèlement?

Je n'ai pas forcément le sentiment que le harcèlement moral augmente, mais les personnes ont sans doute davantage conscience que ce qu'elles subissent est anormal et réagissent peut-être un peu plus.

En revanche, je trouve que les organisations demandent de plus en plus à leurs équipes sans leur en donner les moyens : plus de productions, plus d'actes, plus de chiffre d'affaire, plus de qualité, plus de quantité, plus d'administratif, plus de reporting, plus de normes, et parfois un réduisant la taille des équipes, ce qui met la hiérarchie intermédiaire dans une posture intenable qui génère parfois des comportements de harceleur.

Pour moi, le remède se retrouve dans la communication : écouter les équipes, comprendre les contraintes des postes de travail, faire confiance aux salariés quand des sonnettes d'alarme sont tirées. L'idée de demander chaque année a une personne de faire plus 15% par rapport à l'année précédente, sans tenir compte de la faisabilité de l'objectif et du contexte est par exemple une absurdité...

5. Le salarié doit-il quitter son travail?

Il n'y a malheureusement pas de réponse toute faite à apporter. Tout dépend des situations.

Dans le contexte économique actuel, partir en claquant la porte peut être lourd de conséquences (principalement financières), et c'est d'ailleurs pour cette raison que nombre de salariés aujourd'hui préfèrent se taire.

Le salarié doit comprendre que ce sont sa santé mentale et sa santé physique qui sont en jeu. Il faut tout mettre en œuvre pour faire cesser les agissements. D'abord en essayant de régler les choses en interne, puis sans soutien en s'appuyant sur des acteurs de prévention ou de sanctions (médecin du travail, inspection du travail, avocats). Si aucune de ses solutions ne fonctionne, il est en effet préférable de partir, idéalement en ayant un peu anticipé ce départ.


Conclusion:

Face à un harceleur, ne pas rester seul.

Il faut échanger avec un proche ou un professionnel, prendre du recul, se faire aider pour se sentir légitime de dire stop.

J'aimerais aussi adresser un conseil aux collègues des harcelés, qui bien souvent préfèrent baisser les yeux et se taire. En optant pour la politique de l'autruche, ils participent passivement au harcèlement moral et renforcent le harceleur dans sa position. Il est essentiel d'apporter du soutien, de faire groupe face aux harceleurs. Et ceci même par intérêt personnel, parce que bien souvent, quand le harcelé craque (départ, arrêt de travail), le harceleur se choisit une nouvelle victime et recommence...