Peut-on vous obliger à fumer au travail ?

Cette question peut vous sembler bien incongrue, c’est pourtant ce qui est à peu près arrivé à d'anciens salariés d’un fameux cigarettier, en procès contre leur ancen employeur ce mois-ci.
13 salariés exercent leur droit de retrait face à leur ancien employeur, Philip Morris. Qu’est-ce que le droit de retrait ? dans quelles conditions refuser de travailler, pour quel danger ? Essayons d’y voir plus clair et de déterminer à quel moment un salarié peut refuser un travail qui lui paraît dangereux.

I) Le salarié et l'exercice du droit de retrait

S’il se trouve dans une situation, où  il constate un danger à la fois grave et imminent mettant sa vie et sa santé en jeu, le salarié il peut décider de ne pas effectuer le travail demandé. Ce droit de retrait se situe à l’article L 4131-1 et suivants du Code du travail. Le salarié doit alors informer son employeur.

Le salarié peut exercer son droit de retrait sans avoir l’obligation d’en informer par écrit, son employeur. Il peut alors quitter son lieu de travail en ayant alerté par n’importe quel moyen la personne sous la subordination de laquelle il se trouve. Une fois que la situation est reconnue comme réprésentant un péril grave et imminent, le salarié ne pourra pas être sanctionné pour avoir exercé ce droit.


Exemple : il a été jugé par la chambre sociale de la Cour de cassation, qu’un chauffeur routier, qui refuse de reprendre le volant après avoir conduit pendant 21h d’affilé durant une journée de travail, pouvait exercer son droit de retrait.


Le danger grave est défini par une circulaire de la direction générale du travail du 25 mars 1993 indiquant qu’il est un « danger susceptible de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou paraissant devoir entraîner une incapacité permanente ou temporaire prolongée. »
Le degré de dangerosité de la situation est à prendre en compte, pour savoir si un salarié peut se retirer immédiatement.


Exemple : un salarié qui effectue un travail dangereux par définition, ne peut pas se retirer pour ce motif, car il a accepté lors de la signature de son contrat de travail une forme de dangerosité, inhérente à son activité. C’est le cas par exemple des salariés qui travaillent sur des chantiers, ou d’autres qui effectuent des opérations de maintenance dans une centrale nucléaire.


Le caractère imminent du danger quant à lui est celui qui est susceptible « de se réaliser brutalement dans un délai rapproché. »

Pour déterminer a posteriori si un salarié était dans une telle situation, le juge tranchera et appréciera s’il avait un « motif raisonnable.» Ce motif raisonnable, ce sont les faits, qui lui laissent penser qu’un danger grave et imminent existe. Le juge prendra en compte l’état psychique, physique et les connaissances dont le salarié dispose pour prendre une décision.


Exemple : un salarié peut décider de refuser d’occuper un nouveau poste dans lequel il va être en contact avec des substances auquel il est allergie et pourra faire valoir son droit de retrait.


II) Comprendre le cas Philip Morris

Le droit de retrait du salarié peut être collectif. Cela a par exemple été le cas en 2005 lorsqu’une centaine d’agents de la SNCF ont refusés de reprendre le travail après une agression de l’un de leur collègue. La Cour de cassation a approuvé au bout d'une longue procédure, trois ans plus tard, leur décision. Ce droit de retrait, peut également être préventif. C’est le cas par exemple des salariés, amenés à travailler dans une région du monde où une épidémie se déclare.

Dans l’affaire opposant les salariés, anciens commerciaux, à Philip Morris, ces derniers ont fait valoir leur droit de retrait, collectivement et de manière préventive. Ils reprochent à leur employeur de les avoir manipulés.
Ils étaient chargés de vendre une nouvelle cigarette électronique, contenant du tabac mais étant présentée, comme révolutionnaire et n’impactant pas la santé contrairement aux cigarettes traditionnelles. Les commerciaux devaient notamment vendre le produit en le consommant pour le « tester. »
Ces salariés soutiennent le fait, que contrairement à ce qui leur avait été présenté, cette cigarette favorise une addiction, d’autant plus que la promotion du tabac est interdite en France.

Ces salariés ont collectivement dénoncé au final, des objectifs de vente beaucoup trop élevés combinés à un mensonge sur la prétendue absence de nocivité du produit, pour exercer leur droit. Actuellement en cours devant les Prud’hommes, une procédure permettra de faire toute la lumière sur les faits.

L'issue de la procédure est pour le moment inconnue. Mais il faut savoir qu'il est tout à fait possible pour des salariés de faire valoir un droit de retrait lorsque le danger grave et imminent emporte des conséquences pour le futur, par exemple, une exposition à l'amiante sans protection aucune où en l'espèce, en demandant à des salariés de consommer un produit nocif.

III) Les conséquences du droit de retrait

En cas de retrait correctement justifié, le salarié ne peut souffrir d’aucune retenue sur salaire, conformément à l’article 4131-3 du Code du travail. Le salarié peut aussi demander de réintégrer l’entreprise et son licenciement sera considéré comme abusif, car il n’aura aucune cause réelle et sérieuse. L’employeur a une obligation de résultat concernant la sécurité de ses salariés.


A noter : un droit de retrait légitime peut donner lieu à un motif légitime de démission.


En revanche si le retrait était injustifié, son employeur aura recours à une retenue sur salaire, sans qu’un juge l’ai obligatoirement autorisé.

Conclusion 

Non un employeur ne peut pas pousser un salarié à fumer, ou à exercer sciemment  une activité, qui aurait des conséquences irrémédiables sur sa santé. Le salarié peut donc exercer son droit de retrait, mais il devra bien se protéger.

Le plus sûr étant pour lui de prévenir le CHSCT et les instances représentatives du personnel, de son entreprise au plus vite, compétentes pour le conseiller.