Droit du travail

Délégation de pouvoir et responsabilité pénale

Qu’est-ce qu’une délégation de pouvoir ? Dans cet article, nous vous aidons à en comprendre le fonctionnement, les conditions et les conséquences.

1) Qu’est-ce que la délégation de pouvoir ?

Vous avez obtenu une promotion ou décroché un poste qui vous confère une place importante au sein de l’entreprise. Félicitation, mais n’oubliez pas les paroles de l’oncle Ben dans Spiderman « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ».  En effet, le transfert de pouvoirs entraine aussi celui de la responsabilité qui en découle.C’est le principe même de la délégation de pouvoir. Cette dernière est apparue nécessaire dans les entreprises de taille significative dont l’employeur ne peut, matériellement, veiller à lui seul au respect de la règlementation du travail par ses salariés.

Le dirigeant, appelé délégant, va ainsi pouvoir transmettre à l’un de ses salariés, appelé délégataire, un certain nombre de prérogatives dont le détenteur pourra voir sa responsabilité pénale engagée s’il les exerce sans respecter la loi. Etre délégataire, c’est ainsi obtenir un pouvoir de décision, mais cela implique aussi de devoir assumer les responsabilités qui vont avec. C’est courir le risque d’engager votre responsabilité pénale si vous ne respectez pas certaines obligations légales. Une délégation peut se faire dans de nombreux domaines dont notamment celui de la santé et de la sécurité.

2) Quelles règles encadrent la délégation de pouvoir ?

Si aucun article du code du travail n’en définit les règles, il existe cependant un cadre juridique définit par le juge au fil du temps. Ce sont notamment plusieurs décisions rendues en 1993 qui sont venues préciser que « hors le cas où la loi en dispose autrement, le chef d'entreprise, qui n'a pas personnellement pris part à la réalisation de l'infraction, peut s'exonérer de sa responsabilité pénale s'il rapporte la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires ».

Plus concrètement, cette décision permet à un dirigeant d’échapper à toute poursuite pénale consécutive à une faute commise dans le domaine de responsabilité délégué. Ainsi, imaginons que votre employeur vous charge d’organiser la prévention des risques professionnels dans l’un des établissements de l’entreprise. Vous décidez alors d’ignorer les règles prévues par le code du travail et un accident se produit. L’employeur ayant l’obligation d’assurer la santé et la sécurité des salariés sur le lieu de travail, sa responsabilité pénale pourra dans un premier temps être recherchée pour avoir manqué à son obligation. Mais s’il parvient à démontrer que c’était en réalité vous qui étiez chargé de prévenir l’accident survenu et que c’est votre erreur qui en est la cause, il pourra échapper aux poursuites qui seront alors dirigées sur vous.

3) Quelles sont les conditions de la délégation

Au-delà de l’admission du principe de délégation, diverses conditions sont énumérées pour que cette dernière soit valide.

a) Le chef d’entreprise ne doit pas avoir personnellement pris part à la réalisation de l’infraction

Une décision du 21 novembre 2000 est venue préciser qu’un salarié titulaire d'une délégation de pouvoir ne peut se voir reprocher une faute dans l'accomplissement de la mission d'organisation et de surveillance qui lui a été confiée lorsque le chef d'entreprise ou l'un de ses supérieurs hiérarchiques s'immisce dans le déroulement des tâches en rapport avec cette mission, supprimant ainsi l'autonomie d'initiative inhérente à toute délégation effective (n°98-45.420).

Il est en effet nécessaire de préciser que si votre employeur a commis une faute et que cette dernière est, au moins en partie, la cause de l’accident, sa responsabilité pourra être engagée, peu importe la délégation de pouvoir. De fait, si la responsabilité d’organiser la sécurité d’un établissement est déléguée à un salarié, son employeur n’a plus à prendre de décision dans ce domaine. La loi ne lui interdit pas de d’empiéter sur ce domaine, mais s’il le fait et commet une erreur, il ne pourra pas se cacher derrière la délégation de pouvoir et remettre la faute sur le délégataire.


Prenons un nouvel exemple : vous êtes chef de chantier et en tant que tel, vous devez faire respecter les règles en matière de sécurité et d’hygiène sur le chantier dont vous êtes responsable. Il s’agit d’une délégation de pouvoir. Parfaitement conscient de vos responsabilités, vous veillez de près au respect des règles et notamment au port du casque par les ouvriers. Or, un jour où l’un de ces derniers n’a pas d’équipements de protection, votre employeur lui indique qu’il peut commencer à se mettre au travail le temps qu’il s’occupe de lui en trouver. Hélas, un morceau de béton tombe sur cet ouvrier et le blesse gravement à la tête. Bien que vous étiez en charge de veiller à la sécurité, votre employeur a empiété sur les pouvoirs qu’il vous avait confié. Dès lors, la délégation saute et votre responsabilité ne pourra être engagée.


b) Les autres conditions de la délégation

Imaginez un dirigeant qui charge l’un de ses salariés, au hasard, de veiller à la santé et à la sécurité de ses collègues. On ne peut s’attendre à ce qu’il remplisse parfaitement cette mission sans connaissances, ni moyens. Il serait ainsi irresponsable pour un dirigeant de confier des responsabilités à quelqu’un qui ne peut les assumer. Il est donc logique qu’un employeur ne puisse déléguer à n’importe qui ses pouvoirs pour que cette délégation soit reconnue valide. Le dirigeant devra avant tout informer le salarié de la délégation ainsi que des responsabilités qui découlent de cette dernière. Il n’est pas nécessaire que le délégataire accepte d’assumer les responsabilités qui lui sont confiées, il suffit qu’il effectue les missions relevant de la délégation. Un employeur préfèrera néanmoins formaliser la délégation par un écrit qui en précisera l’étendue, rappellera les risques encourus par le délégataire et mentionnera les raisons de cette délégation.

Le délégataire devra par ailleurs posséder les connaissances techniques et juridiques nécessaires à la réalisation de sa mission. C’est ce que l’on appelle la compétence. S’il est chargé de veiller à la sécurité, par exemple, il devra connaitre les lois qui s’y rapportent ainsi que les équipements de sécurité ou encore les consignes d’utilisation des machines. Quant à l’autorité, cela signifie que l’employeur lui donnera nécessairement l’autorité hiérarchique nécessaire pour se faire obéir des salariés dont il doit assurer la protection. Enfin, il devra avoir les moyens de veiller à leur sécurité. A commencer par les moyens financiers afin d’acheter les équipements de protection ou faire intervenir différents experts par exemple. Mais aussi le pouvoir de faire ces achats ou de recourir à ces experts. Il devra enfin avoir les moyens de maintenir son niveau de compétence pour assurer au mieux ses missions. La compétence, l’autorité et les moyens sont trois conditions cumulatives. Dès lors qu’une seule n’est pas remplie, la délégation de pouvoir ne pourra être valide.

4) Concernant la responsabilité pénale en matière de santé et de sécurité

Le code du travail prévoit qu’est puni d’une amende de 10.000 euros le fait pour un employeur, ou son délégataire de méconnaître par sa faute personnelle, les dispositions relatives à la santé et à la sécurité au travail. Cette amende est appliquée autant de fois qu’il y a de travailleurs de l’entreprise concernés. Il est possible qu’en tant que délégataire vous puissiez, avec l’accord de votre employeur, subdéléguer les missions qu’il vous a confiées à l’un de vos subalternes. Les mêmes conditions et conséquences évoquées ci-dessus s’appliqueront alors.

Enfin, il est admis que lorsqu’un délégataire commet une infraction à l’origine de la mort ou de blessures, coups ou encore maladies n’entrainant pas une incapacité totale de travail personnelle supérieure à trois mois, le juge peut, compte tenu des circonstances de l’accident et des conditions de travail de la victime, décider que le paiement des amendes devra être réglé en tout ou partie par l'employeur.


Conclusion :

La délégation de pouvoir permet à un dirigeant de transférer une partie de ses pouvoirs à l’un de ses employés qui devra ainsi assumer des responsabilités et pourra être poursuivi pénalement s’il commet une faute. C’est pour cette raison que le délégataire doit être parfaitement en mesure d’exécuter les missions qui lui ont été confiées. Si le dirigeant interfère dans l’exécution d’une de ces missions et qu’un accident se produit, la délégation ne sera pas valide et le transfert de responsabilité n’opèrera pas. Il est possible qu’une délégation soit parfaitement valide mais que la responsabilité repose sur le dirigeant dans certaines circonstances où il va être considéré que la réalisation de l’infraction relevait de ses pouvoirs propres.

A voir également : la faute inexcusable de l'employeur.